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De Philippe Ammann, responsable des projets animaux
Ce matin de mai, c’est la bruine qui m’accompagne tout au long du chemin sinueux menant à la ferme de Franziska et Dominik Zettel, éleveurs de vaches grises rhétiques depuis huit ans. Avec plus de 50 bovins juvéniles, reproducteurs et d’engraissement, c’est l’un des plus grands élevages de la race. Lorsque les Zettel ont repris cette ferme bio aux environs de Grafenort et voulu passer d’un élevage laitier à un élevage allaitant, ils ont rapidement décidé qu’il leur fallait une race bovine à la fois locale et vigoureuse. C’est ainsi qu’ils ont opté pour la vache grise rhétique, une race de petite taille parfaitement adaptée à la région montagneuse de Nidwald.
Pour pouvoir admirer leur robe grise, il m’a d’abord fallu chercher leur étable, cachée entre les collines. Mon GPS m’avait déjà à moitié abandonné. Un coup de téléphone, de grands signes au loin et me voilà finalement prêt à chausser mes bottes. Tout au fond de l’étable, j’aperçois le couple d’éleveurs en compagnie de leur vétérinaire dont le bras droit vient de disparaître dans une vache. Venu pour une inspection, il palpe, d’un geste routinier, la prochaine génération de vaches grises rhétiques en gestation. Les trois derniers examens se soldent tous par un diagnostic positif, au grand contentement de Franziska et Dominik : la progéniture de cette race rare est très précieuse.
REPRODUCTEURS EN LIEU ET PLACE DE PAILLETTES
Chez les Zettel, on fait appel à des taureaux d’élevage pour assurer la reproduction. Ils n’apprécient pas le côté artificiel de l’insémination artificielle (IA) réalisée à partir de sperme congelé, qui s’est généralisée dans la profession. Et comme ils travaillent tous deux aussi à l’extérieur, l’IA représenterait une source de stress supplémentaire. En effet, les chaleurs des vaches ne durent qu’une demi-journée environ. Ce serait donc à chaque fois le branle-bas de combat pour faire venir l’inséminateur et choisir le bon taureau IA avant qu’il ne soit trop tard. De plus, comme la vache grise rhétique n’est pas un standard de race répandu, la disponibilité de sa semence sur place n’est pas toujours évidente. Avec la reproduction en monte naturelle, le problème ne se pose pas. Autre avantage : la présence d’un taureau instaure une certaine harmonie dans l’étable. « Le troupeau est beaucoup plus calme lorsque les vaches sont en compagnie d’un taureau », explique Dominik avant de me présenter Hanibal, un mâle de taille imposante. « Il ne manquera pas de monter chaque vache en chaleur, ce qui évite qu’elles se montent les unes les autres. » C’est ce qu’elles font en l’absence du taureau, ce qui crée de l’agitation dans l’étable. Âgé de presque quatre ans, Hanibal m’inspire confiance, alors je m’aventure dans son enclos. Son caractère docile n’est pas dû au hasard, mais à un mode d’élevage fait de contacts réguliers, d’exercices de conduite au licol et de constance. Jamais un coup de bâton. « Mais il faut aussi tenir compte du caractère de la mère, ajoute Dominik, car si elle est nerveuse ou agressive, il sera particulièrement ardu d’élever son veau mâle. »
UNE ALTERNATIVE DE TAILLE À L’INSÉMINATION ARTIFICIELLE
ProSpecieRara avait naguère une position assez réservée vis-à-vis de l’IA, avançant notamment le risque d’une raréfaction à terme des taureaux d’élevage pour la reproduction en monte naturelle. Désormais, cette technique fait partie intégrante de l’élevage conservatoire, car elle présente aussi des avantages pour les races menacées (cf. rara 2021/4). En revanche, pour le maintien de la diversité génétique, la monte naturelle reste capitale. C’est pourquoi ProSpecieRara s’engage actuellement aux côtés de l’association Vache grise rhétique Suisse et de l’association d’élevage de la race Evolénarde pour l’élevage et la détention de mâles. Le nombre de mâles disponibles joue en effet un rôle important dans la lutte contre la consanguinité. Franziska et Dominik Zettel apportent donc une contribution importante à la bonne conservation de la race rhétique. En prêtant ou vendant des taureaux, ils aident également d’autres élevages à exploiter toute la diversité génétique. Les deux fils d’Hanibal, Sinalco et Bax, sont justement en mission amoureuse à l’extérieur. En prenant une dernière photo d’Hanibal, je me sens à nouveau conforté dans l’idée qu’il est très important, mais aussi tout à fait faisable, d’élever des taureaux à condition d’y consacrer l’énergie et la patience nécessaires.
CHAQUE VEAU MÂLE COMPTE !
Il serait vain de détenir de nombreuses femelles si l’on ne dispose que d’un nombre réduit de mâles. En effet, si un petit groupe de mâles s’accouplait avec un grand nombre de femelles, la descendance serait assurée mais sa diversité génétique serait faible. Il en résulterait une population bien moins importante que ce que la taille du troupeau laisserait penser. La valeur déterminante est la taille efficace d’une population, qui indique le nombre minimum d’individus permettant de maintenir le niveau de diversité génétique requis. Or cette taille efficace est proportionnelle à la part d’individus mâles, d’où l’importance que revêtent les élevages de taureaux. Dans ses projets et sa stratégie de conservation des espèces, ProSpecieRara leur accorde d’ailleurs depuis toujours la place qu’ils méritent.